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Cogema – A la recherche du produit manquant

Pour mieux comprendre l’importance de la sélection d’un matériel d’automatisme il faudrait toujours amener les futurs investisseurs dans une usine comme celle du traitement du combustible nucléaire de la Hague. Unique dans son genre (il n’existe que trois usines de ce type dans le monde), ce site pose clairement la problématique du choix pérenne d’une installation.

 

Des besoins génériques

Sans décrire dans son intégralité le fonctionnement d’un tel lieu, il faut garder à l’esprit que la mise au point des procédures de qualification des automatismes prend énormément de temps, autant au niveau de la conception que de la validation par les pouvoirs publics.

Et bien que les fournisseurs de matériels d’automatismes garantissent que leurs nouveaux produits sont totalement compatibles avec les anciens, il y a toujours le petit truc, le grain de sable qui va bloquer la machine. Ce risque personne ne veut, et ne peut, l’assumer dans une usine nucléaire. Essayez seulement de remplacer un boîtier PC âgé d’une dizaine d’année par un neuf, vous vous retrouverez avec des formats de cartes incompatibles, une souris et un clavier qui n’ont plus les mêmes connectiques, sans parler des liaisons qui sur une même prise auront peut-être variées ou des logiciels annoncés comme compatibles qui ne fonctionneront pourtant pas, ne reconnaissant pas tel ou tel driver.

Solution idéale, laisser l’usine telle qu’elle a été conçue, une vingtaine d’années auparavant. Et si, a priori, le risque parait moins important dans d’autres types d’entreprises, la finalité est la même, à savoir " conserver le plus longtemps possible un matériel d’automatisation, tout en intégrant les nouvelles technologies ". La tache n’est pas des plus simples, la technologie poussée par l’informatique va de plus en plus vite.

C’est ainsi que les automaticiens de la Hague ont pris conscience que bien d’autres industriels avaient la même vision, qu’ils se nomment Renault/PSA, Aérospatiale, Sagem ou tout simplement Lambda. Quelques-uns de ces industriels se sont mêmes réunis pour analyser les besoins génériques, pour redévelopper et produire des composants ou des cartes devenus vitaux.

La phase de cisaillage/dissolution comprend trois chaînes de production en parallèle. Une fois terminée sa période de désactivation en piscine, l’élément combustible est transféré vers les ateliers. Après contrôle de son identification et de son taux de combustion, il est introduit dans la cisaille. Les éléments de 35 mm tombent par gravité dans une roue de dissolution de 12 godets. Les embouts de tête et de pied étant traités à part.

La matière nucléaire présente dans les tronçons des crayons combustible est extraite par dissolution. La solution s’écoule par trop plein vers l’unité de clarification. Après rinçage et contrôle de la matière fissile résiduelle, les coques et les embouts sont conditionnés dans des fûts dirigés vers les ateliers de compactage puis d’entreposage provisoire.

 

Le choix du nucléaire

La France a fait le choix du nucléaire civil il y a maintenant plus de trente ans, et si le débat sur ce choix est toujours d’actualité, l’une des raisons en est la gestion des déchets. Ni l’uranium, ni le plutonium ne brûlent en totalité dans le réacteur nucléaire. Il faut donc traiter les assemblages de combustibles usés. Sous le vocable d’assemblage, les spécialistes parlent du combustible regroupé sous l’aspect de crayons composés de milliers de pastilles d’Uranium 235, une pastille grosse comme un morceau de craie et pesant sept grammes, pouvant libérer autant d’énergie qu’une tonne de charbon.

Dans un premier temps, la matière première usagée – dont la radioactivité est considérablement supérieure à celle du combustible neuf – séjourne dans une piscine attenante au réacteur. Elle s’y refroidit et se désactive.

Ensuite, ces assemblages sont transportés vers une usine de traitement comme celle de la Hague. Ils sont traités pour recycler l’uranium et le plutonium restant et produire un nouveau combustible opérationnel, tout en isolant les déchets résiduels. En fin de cycle, l’ensemble combustibles-déchets est retourné à l’industriel producteur d’électricité.

Pour leurs transports, ces assemblages sont conditionnés dans des enveloppes d’acier de 110 tonnes qui renferment de l’ordre de 10 tonnes de matière nucléaire. Ces enveloppes supportent, par exemple, un feu de 800°C pendant 30 minutes et une chute de 9 mètres sur une surface indéformable.

Lors du déchargement du combustible à l’usine de traitement, toutes les opérations sont effectuées à distance, par télémanipulation. C’est la règle pour toutes les manipulations et interventions mécaniques et chimiques que subit le combustible lors de son séjour à la Hague. Il est impossible pour l’homme de pénétrer dans la zone en présence de produits radioactifs, la radioactivité produisant plusieurs types de rayonnement dont les rayons gamma qui ne peuvent être stoppé que par une forte épaisseur de béton ou de plomb.

S’il a déjà passé au moins un an dans les piscines des centrales nucléaires, le combustible usé reste encore au moins trois ans en piscine avant que ne débute son traitement. Placé dans des paniers, il continuera de se désactiver, c’est à dire de perdre peu à peu de sa charge radioactive et thermique, dans une des quatre piscines d’entreposage de l’établissement, d’une capacité de 14.000 tonnes.

Dans les assemblages de combustible usé, la matière nucléaire est contenue dans une gaine métallique. Pour les libérer de cette gaine, les assemblages sont cisaillés en tronçons de 35 mm qui tombent dans une cuve remplie d’acide nitrique. Dans cette cuve l’acide dissous la matière nucléaire tandis que les morceaux de gaine sont évacués par une roue à godets vers une unité de conditionnement.

La solution d’acide contenant la matière nucléaire est ensuite transférée vers une installation de séparation chimique. Le même principe est utilisé pour séparer l’uranium du plutonium. L’uranium est ensuite purifié et concentré sous forme liquide.

Les matières fissiles récupérées à l’usine de la Hague peuvent retourner dans le cycle du combustible. L’uranium
concentré sous forme liquide pourra être converti en gaz en vue de son réenrichissement pour une utilisation immédiate. La poudre d’oxyde d’uranium est conditionnée en boites étanches. Elle servira à fabriquer du combustible MOX (Mélange d’Oxydes de Plutonium et d’Uranium).

Une fois séparées des matières recyclables, il reste les résidus ultimes. Les principaux, les produits de fission sont stabilisés par vitrification. Les structures métalliques du combustible sont compactées. Les matériaux ayant été utilisés lors du traitement sont bétonnés. Ces deux types de résidus sont conditionnés dans des conteneurs.

Dans l’unité de vitrification, les solutions liquides sont composées d’oxydes de Produits de Fission en solution acide et de suspensions de fines insolubles issues du cisaillage et de la dissolution. Ces solutions sont dirigées vers un calcinateur composé d’un tube tournant, chauffé à 800°C à l’intérieur duquel elles s’écoulent par gravité. A la sortie on introduit de la fritte de verre à raison de 82 % d’ajout. Le tout se mélange et tombe dans un four de fusion pour former un verre homogène.

Le verre est coulé dans un conteneur en acier inoxydable. Après un refroidissement de 24 heures, un couvercle est soudé et le conteur est décontaminé par jet d’eau puis subit un microbillage. Enfin, les conteneurs sont entreposés dans des puits ventilés avant d’être retournés aux clients.

 

Et les automatismes dans tout cela

En plus d’un grand nombre de télémanipulateurs, les automatismes sont omni-présents, avec une salle de pilotage des installations qui est l’un des plus grande au monde, après celle de la Nasa.

Ce sont 220 emballages annuels qui peuvent être traités dans l’usine. En raison de la durée du cycle d’un produit qui une fois rentrée ne ressort pas avant une dizaine d’années, il est inutile de penser effectuer une maintenance totale des lieux de production, durant les vacances d’été, comme cela se pratique dans la majorité des entreprises. La durée d’exploitation des installations est d’un minimum de trente ans, avec en bout de cycle le démantèlement d’une partie des ateliers.

A la Hague, le premier impératif a été de garder la " mémoire humaine ". Sous ce terme se retrouve certes l’ensemble des actions effectuées par les opérateurs, mais également une gestion de tout le matériel, aussi bien les documentations des constructeurs que l’ensemble des modifications, et cela du début de l’exploitation au démantèlement. Quel constructeur est encore capable de fournir l’ensemble des documentations imprimées il y a plusieurs dizaines d’années ? Trouver la documentation d’un SMC 50 n’est pas chose évidente en 2005. Ce sont ainsi plus de 700 documentations en ligne sur le disque du groupe pour environ 400 abonnés.

Du coup, il a été créé un centre de maintenance des logiciels (CML dans le langage maison). Des milliers d’équipements, des automates aux SNCC, y sont référencés, et le programme de référence n’est pas celui présent à un instant t dans l’automate programmable mais celui qui figure dans le CML. Le logiciel qui tourne dans l’automate programmable est vérifié par le CML, et non l’inverse comme c’est trop souvent le cas.

Le CML contrôle cycliquement la cohérence entre le logiciel présent dans l’équipement sur site et le programme de référence détenu par le CML. Les résultats (discordance, non discordance) sont tracés dans l’historique, l’examen périodique des composants discordants permet de lancer les actions correctives nécessaires. Le CML délivre une copie du logiciel source permettant avec les outils constructeurs de réaliser une opération de maintenance ou de modification; c’est également lui qui gère les réservations de logiciels, afin qu’une seule personne puisse, à un instant donné, modifier le composant, ceci sans interdire les interventions d’urgence.

Aujourd’hui le CML regroupe 4.500 composants avec 120 Giga de données, et ce sont 300 utilisateurs qui y ont accès avec des droits différents. Toutes les modifications sont enregistrées, et comme à la Cogema on n’est jamais trop prudent, une version papier est également systématiquement éditée.

De plus, la démarche pérennité veut que tout processus nouveau soit prévu pour une durée minimum de 25 ans, voire 35 ans. D’où des critères de sélection drastiques lors du choix du matériel entrant. La durée de vie est un critère important, les études entreprises en interne montrent que les temps de modification coûtent, en raison des risques intrinsèques, quatre fois plus que dans un autre type d’industries.

 

Identification des risques

Sur le terrain, ce sont environ 600 automates programmables SMC 600 qui sont mis en œuvre avec environ 400/500 entrées-sorties par automate, une centaine de Premium et une autre centaine d’automates April, sans compter les SNCC Bailey pour la r&eac
te;gulation.

Une méthodologie d’identification des risques a été mise en place, et cela jusqu’en fin de vie du matériel. Sont autant prises en compte les notions de corrosion, d’irradiation, d’approvisionnement des consommables (il existe des enregistreurs de données qui fonctionnent avec des consommables qui ne se trouvent plus sur le marché).

Bien entendu, les fournisseurs prennent en compte cette obsolescence. Tout arrêt de commercialisation fait l’objet d’une annonce deux ans avant l’arrêt effectif. Dès la date d’arrêt de la commercialisation, le fournisseur continu de proposer des produits pour la maintenance pendant une durée de dix années, et au-delà de ces dix années, les demandes sont étudiées au cas par cas, avec comme solution une réparation des cartes ou une substitution de produits.

La démarche mise en place par La Hague se caractérise par une méthodologie d’identification, d’analyse et d’évaluation des risques, par la mise en œuvre d’un plan d’actions de traitement des risques et un tableau de bord sur leur suivi. La démarche reste centrée sur les risques techniques et industriels pouvant affecter la pérennité.

Cette approche des risques est intégrée dans les décisions de management, le tableau des principaux types de risques n’est que la première étape du processus. Ensuite est évaluée la criticité de chaque risque.

En premier lieu est déterminé l’Etat limite, associé à son délai de proximité. Avec ces informations va être calculée l’urgence de l’action. En parallèle, la gravité du risque est analysée. En fin de tableau, la criticité du risque tenant compte de la gravité et de l’urgence est déterminée. Une échelle à quatre niveaux permet de comparer entre eux les problèmes. Par expérience les spécialistes de la Hague savent que lorsque le chiffre se situe entre 10 et 12, il faut régler le problème rapidement.

Mais cette analyse des risques n’est pas suffisante en soi. Un processus de suivi a été élaboré, avec notamment une cellule pérennité qui évalue et cartographie les risques, avec un suivi du plan d’action pluriannuel et un tableau de bord associé.

De cette démarche, un classement est effectué au sein de l’usine. Par exemple, sur 255 fiches pérennité reçues au cours du second trimestre 2003, année de la mise en place de cette démarche, il a été confirmé 197 risques affectant la pérennité, dont 22 risques génériques. Les principaux risques identifiés sont liés à l’obsolescence des matériels (équipements spécifiques, composants électroniques) et au vieillissement des installations. Le vieillissement impacte le plus souvent les équipements mécaniques, l’obsolescence, le contrôle/commande et la conduite des installations.

Pour éviter les problèmes de pérennité à venir, l’usine s’est dotée d’un plan d’actions qui, parmi les solutions, préconise l’achat de stocks, la négociation de contrats de maintenance avec les fournisseurs. Lors de l’installation, dans certains ateliers, de nouveaux équipements, les appareils démantelés viennent grossir les stocks pour les autres ateliers. Dernière réponse aux problèmes de pérennité : les ressources des diverses usines du groupe sont mutualisées.

En 2004, sur les divers sujets recensés, ce sont 25 d’entre eux qui ont été totalement réglés et ce sont 3.5 millions d’euros qui ont été consacrées au plan pluriannuel de pérennité.

 

La stratégie pérennité pour les systèmes à base de composants électroniques

Quand un sujet de pérennité est passé entre les mains d’Isabelle Hibon, qui est en charge de la coordination du plan pluriannuel de pérennité du site Cogema à la Hague, il est nécessaire de trouver la meilleure solution possible pour traiter ou sécuriser le risque associé. Or le décalage entre le cycle de vie des installations et la vitesse technologique des produits est de plus en plus important. Les premières cotations, effectuées en 1997, pour une remise à plat uniquement de la partie automatismes montraient un coût de plusieurs Millions d’euros exclusivement pour la rénovation du contrôle/commande. Il restait à rajouter les coûts d’essai et ceux d’arrêts d’exploitation. Autant dire impossible.

Une autre étude effectuée en 1997 a mis en lumière que seulement 40 % des fournisseurs ayant participé à la construction de l’usine UP3 seraient encore présents sur le marché en 2010. La solution ultime qui ressortait de ces études était de maintenir le matériel existant, quitte à le réparer.

En se penchant sur le sujet, Cogema s’est aperçu que la réparation d’une carte électronique en panne revenait de 3 à 6 fois moins cher en moyenne que son changement pur et simple. Ce sont ainsi plus de 3.000 cartes qui sont passées par les mains du service maintenance l’année dernière. Et en analysant les différentes cartes, les informaticiens ont trouvé que plus de 40 % des composants actifs étaient similaires.

Cette problématique n’est pas propre à Cogema. De grands fournisseurs utilisateurs que ce soit dans l’énergie ou dans l’aéronautique, ont dû redévelopper des cartes pour pouvoir continuer leur production.

Ces industriels réunis ont décidé de donner un code couleur à l’ensemble de leurs composants. Ce code peut passer du vert à l’orange, puis au jaune et enfin au rouge en fonction de la difficulté d’approvisionnement. Un code couleur qui pousse à des achats contrôlés de certains composants vitaux et ce en fonction du REX des consommations pour les réparations.

Sur les 829 systèmes recensés, 547 étaient pérennisés et les autres devaient être surveillés. Dans le détail, cela représente 1970 références de cartes différentes, 6350 références de composants liés différents et 8777 références de composants différents en totalité, toutes fonctions confondues. Ce sont 1.330 composants actifs différents qui ont été achetés en 5 ans.

 

Par Guy Fages

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