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Eh, Monsieur ! dessine-moi mon futur

Quel est le futur des automatismes industriels ? Comment les grands offreurs voient l’avenir de ce métier? Autant de questions que nous avons posé à trois d’entre eux. Leurs réponses permettent de décrire un futur plus palpable. Par ordre d’apparition, Helmut Gierse, président du groupe Siemens Automation & Drives ; Fumio Tateisi, Président de la Branche Automatisme Industriel d’Omron, et Alain Marbach, Directeur Général de la division Produits et Technologies de Schneider ont accepté de décrire le devenir des automatismes et de leurs métiers.

 

Jautomatise : L’offre matérielle ressemblera à quoi dans dix ans ?

La tendance actuelle à la décentralisation de l’intelligence continuera vraisemblablement dans les années à venir. C’est un point sur lequel se rejoignent les trois personnes interrogées. "D’une part, les capteurs et les actionneurs deviendront de véritables systèmes de mesure et de contrôle, capables de fournir, outre des valeurs de mesure, une grande diversité d’informations sur l’environnement du processus et disposant de fonctions élaborées de maintenance et d’auto-diagnostic. D’autre part, les machines et les unités fonctionnelles, avec leur système de commande, seront regroupées au sein de composantes d’automatisme mécatroniques capables d’assurer certaines tâches d’automatisation de manière largement autonome. (concept "Component Based Automation")", affirme Helmut Gierse, président du groupe Siemens Automation & Drives. " Une installation comportera donc toute une série de composantes d’automatisme de ce type, mises en réseau et coordonnées entre elles à un niveau supérieur. L’équipement matériel des composantes d’automatisme sera déterminé par les conditions d’utilisation sur site, qui peuvent exiger, le cas échéant, une version endurcie, à sécurité intégrée ou redondante. Chacune de ces composantes d’automatisme disposera de ses propres fonctions de contrôle-commande, pouvant être activées et commandées par réseau sur des postes opérateur (HMI). En outre, ces postes HMI disposeront de fonctions de coordination de niveau supérieur".

Des équipements plus intelligents, plus sûrs et plus communicants, donc, pour assurer un fonctionnement optimal des systèmes de production qui deviendront quant à eux plus modulaires qu’ils ne le sont aujourd’hui. Fumio Tateisi, Président de la Branche Automatisme Industriel d’Omron explique : " La plus grande partie des équipements d’automatisation sera distribuée, en raison des exigences grandissantes en matière de productivité des process dans leur ensemble, et cela du design des appareils jusqu’à la maintenance. Les machines de production seront en outre plus modulaires qu’aujourd’hui. Les contrôleurs seront implémentés dans chaque module de machine et chaque contrôleur assurera l’exécution des objets contrôlés. Les contrôleurs de supervision seront également connectés au réseau de contrôle et seront munis de fonctionnalités permettant de les interfacer avec les "Business Objects" ("Business IT systems")".

De plus "Les contrôleurs seront capables de combiner des fonctions multiples, comme les API, les capteurs, les variateurs de fréquence ou les régulateurs de température… selon les exigences ou les fonctions des modules de machines et permettront de réduire les coûts totaux de propriété (Total cost of Ownership). L’ingénierie déportée, comme le diagnostic, la surveillance ou l’acquisition de données déportées… seront facilités par les technologies Web Internet intégrées. La maintenance prédictive et préventive sera aisée grâce à l’intelligence des composants de contrôle".

D’autre part, comme l’explique Alain Marbach, Directeur Général de la division Produits et Technologies de Schneider, l’électronique est soumise à deux mouvements complémentaires et contradictoires. D’une part il y a la miniaturisation. D’autre part, il y a la croissance des fonctionnalités. "Dans dix ans, l’offre matérielle comportera l’offre existante, mais dont la puissance aura augmentée considérablement – en suivant la loi de Moore – et également des offres plus petites en taille. Il y aura aussi une combinaison d’éléments mono-fonctionnel (HMI, drive, CPU, I/O) de toutes tailles, et d’éléments multi-fonctionnels (HMI+CPU, HMI+I/O, Drive+I/O, Drive+PLC, PLC+I/O)".

De l’avis de tous, la décennie à venir verra une grande diversification de l’offre matérielle en accord avec les nouvelles exigences de l’industrie. Celle-ci visera entre autre à réduire les coûts totaux de propriété (Total Cost of Ownership) par l’adaptation du matériel aux conditions d’utilisation. "Les besoins de nos clients se diversifient toujours plus. Les fabricants de machines nous pousseront toujours vers des offres " just enough ", compactes, parfois plus limitées en puissance de calcul, mais vraiment moins chères, tandis que les utilisateurs finaux nous demanderont une homogénéité software, une évolutivité importante" conclut Alain Marbach..

 

Jautomatise : Et dans 20 ans ?

Selon Alain Marbach, "la tendance visible depuis trente ans se poursuivra dans les vingt prochaines années".

Helmut Gierse imagine quant à lui un avenir dans lequel les systèmes d’automatismes seraient de plus en plus performants, avec, dans le domaine des capteurs/actionneurs, des perspectives entièrement nouvelles apportées par la technologie des bio-puces. Il ajoute que : " Les composants d’automatisme posséderont tellement d’intelligence intrinsèque que l’on peut imaginer des applications pouvant dans une large mesure s’auto-configurer et permettre ainsi de réaliser des économies substantielles en matière d’ingénierie et d’administration".

Pour Fumio Tateisi enfin, l’autonomie des systèmes de production sera une réalité. "La production optimale et les fonctions d’auto-maintenance seront mises en œuvre dans les systèmes de production eux-mêmes. L’algorithme d’auto-apprentissage pour l’efficacité totale des équipements, l’efficacité de l’énergie et la sécurité des machines aura été inventé et les process auront été optimisés automatiquement. Les fonctions d’auto-maintenance comprendront les détections d’erreurs, les prévisions d’erreurs et même des fonctions d’auto-réparation pour certaines pannes, dans des conditions toutefois restreintes", conclut le Président de la Branche Automatisme Industriel d’Omron.

 

Jautomatise : L’offre logicielle ressemblera à quoi dans dix ans ?

Dans les dix prochaines années l’offre logicielle va continuer de s’enrichir. " Au cours de la décennie 1970, les langages à contact (ladder) ont été inventés, et permettent une approche électrique du contrôle-commande. Au cours de la décennie 1980, Siemens et Schneider Electric ont fait l’effort considérable d’inventer le Grafcet – maintenant le SFC – qui permet les synchronisations et les langages à blocs fonctionnels. Depuis, ils ont enrichi ces langages, et je ne pense pas qu’ils seront rejoints. Nous verrons apparaître dans la décennie 2000 un fort enrichissement dans l’utilisation combinée de divers langages, de divers outils. Mais l’adoption de ces nouveaux outils risque d’être lente ", explique Alain Marbach.

Les différentes solutions logicielles accompagnant les solutions matérielles seront inter-opérables et s’intégreront à un dispositif de gestion plus global de niveau supérieur. " Les concepts de plate-forme s’imposeront de plus en plus à l’avenir. Divers progiciels modulaires, parfaitement harmonisés entre eux, utiliseront des services de base d’une plate-forme logicielle, par exemple pour la gestion de données, la gestion des accès ou encore l’historique des données (audit trail). On pourra développer individuellement et assurer le suivi des différents modules et garantir simultanément la compatibilité avec les autres composantes de la plate-forme. Les éléments tiers pourront être intégrés à la plate-forme via des interfaces ouvertes, largement normalisées. Les services Web joueront à cet égard un rôle essentiel ", explique Helmut Gierse. Qui poursuit : " Les solutions mobiles gagneront en importance mais sans remplacer les solutions conventionnelles. L’accès aux informations via l’Internet sera intégré à tous les programmes/plates-formes".

D’un point de vue fonctionnel, la programmation sera facilitée par l’utilisation de bibliothèques propriétaires proposant, en énormes quantités, des portions de codes et blocs fonctionnels pré-testés, éprouvés et bien documentés. Comme l’affirme Fumio Tateisi : " Les systèmes de contrôle seront développés en combinant objets et petits modules logiciels. L’optimisation et la standardisation des objets et modules logiciels fourniront des systèmes de contrôle commande "faciles à configurer" plutôt que "faciles à programmer"".

Pour ce qui est de la conception et de l’ingénierie, un temps considérable pourra être économisé grâce aux possibilités de génération automatique de code qu’offriront les logiciels de simulation. " La simulation de la solution d’automatisation et le programme de commande généré en grande partie automatiquement à partir du modèle de simulation joueront un rôle déterminant et ouvriront de nouvelles possibilités de rationalisation ", conclut Helmut Gierse.

Confirmation de Fumio Tateisi : " Les temps compris entre la conception et la mise en fonctionnement réel sur la ligne de production seront considérablement réduits grâce aux technologies de simulation et de génération de programmes de contrôle ".

 

Jautomatise : Et dans 20 ans ?

Pour Fumio Tateisi, dans vingt ans : " Les utilisateurs finaux, les intégrateurs, les constructeurs de machines (OEM) et les fournisseurs de composants seront associés à une plate-forme commune de conception. Les techniques DTO(Design To Order), CTO(Configuration To Order) et BTO (Build To Order) seront devenues une partie de la réalité et les délais totaux de développement des systèmes de production depuis la conception jusqu’à la mise en œuvre seront énormément réduits ".

L’offre logicielle suivra donc la tendance actuelle et tendra à devenir de plus en plus simple, à la fois en tant qu’outil de conception et en tant qu’outil d’exploitation. Comme l’explique Helmut Gierse, "la qualité des fonctions logicielles évoluera pour permettre une utilisation plus simple et plus performante. L’offre de solutions prêtes à l’emploi sous forme de bibliothèques logicielles est une autre source de simplification à venir en matière d’ingénierie logicielle ".

Mais rendre la mise en œuvre et l’utilisation logicielle simple pour l’utilisateur nécessite de prendre des précautions. "Face au risque de complexité, nous voulons lutter et créer des objets individuels plus intelligents pour rendre le système central compréhensible et plus "léger". Cette tendance, que nous appelons "Simply Smart" est urgente ; le corps social, confronté à des enjeux de sécurité, de traçabilité, ne peut pas accepter de gigantesques boîtes noires centrales, qui dépendent de spécialistes aux limites de leurs capacités intellectuelles, à cause de la complexité. Ainsi, nous chercherons à développer des produits qui enlèvent à l’automate certaines de ces tâches, afin qu’il en accueille d’autres, connues aujourd’hui ou inconnues", conclut Alain Marbach.

 

Jautomatise : L’offre de communication ressemblera à quoi dans dix ans ?

Avec le processus de décentralisation de l’intelligence, la communication va prendre une importance majeure. Les capteurs, actionneurs et contrôleurs seront connectés à un réseau qui constituera l’épine dorsale du contrôle réparti. Cela entraînera, comme l’explique Helmut Gierse : " la nécessité de définir des normes et de développer des systèmes inter opérables permettant une intégration horizontale et verticale ".

Depuis de nombreuses années déjà Ethernet s’impose dans le milieu industriel et aujourd’hui tout le monde s’accorde à dire qu’à terme il s’imposera comme "le standard absolu", jusqu’au niveau du terrain. " De 1996 à 2004, Ethernet s’est imposé pour le transfert d’informations, puis la synchronisation et la collecte d’informations d’entrées-sorties. A l’horizon 2014, Ethernet dominera l’automatisme et aura remplacé tous les bus de terrain. Ceci permettra une compatibilité aisée entre matériels de constructeurs différents. Par contre, tous les constructeurs essaieront d’offrir des services évolués et il est probable que des incompatibilités subsisteront ", affirme Alain Marbach.

Ces incompatibilités dues à la recherche sans cesse accrue de la performance de la part des fournisseurs propriétaires. Fumio Tateisi le confirme, " les protocoles de communication suivront les grands standards du marché mais les fournisseurs de réseaux propriétaires continueront d’apporter de nouvelles fonctionnalités et performances, si bien que nous ne travaillerons jamais dans un environnement totalement ouvert, comme c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui ".

Autre phénomène incontournable : le rôle de la communication mobile en milieu industriel. Celui-ci ira croissant, comme le font remarquer Fumio Tateisi et Helmut Gierse, du fait des possibilités de configuration libre que procurent les technologies sans fil. Un bémol à ce sujet est néanmoins émis par Président de la Branche Automatisme Industriel d’Omron qui souligne que la mise en œuvre totale de la technologie sans fil sera limitée en raison de problèmes de fiabilité.

Helmut Gierse ajoute que " les systèmes étant désormais de plus en plus ouverts, il y a un besoin accru en solutions de sécurité. Des systèmes de pare-feu industriels, des technologies de codage et des mécanismes sécurisés de contrôle d’accès sont nécessaires pour une utilisation en environnement de production industrielle. Pour toutes les applications, il faut veiller à une intégration en douceur dans l’environnement existant, qui ne peut être assurée que par la mise en œuvre et le respect de normes internationales ".

 

Jautomatise : Et dans 20 ans ?

Selon Helmut Gierse, les processus de décentralisation, d’ouverture et de mobilité se poursuivront dans les vingt prochaines années. " Avec une interconnexion toujours plus poussée, il sera essentiel que les réseaux gagnent en intelligence et en autonomie. On peut imaginer par exemple des réseaux industriels autonomes capables de déterminer seuls le routage optimal pour la transmission ou d’exécuter des tâches de maintenance de manière indépendante, délestant ainsi l’utilisateur de certaines tâches d’administration du réseau ", ajoute le président du groupe Siemens Automation & Drives.

Pour Alain Marbach la question du sans fil deviendra cruciale à l’horizon de 20 ans : "Aujourd’hui, il n’y a pas de solution suffisamment générique pour être acceptable dans l’incroyable variété des environnements, pour contourner les différents types d’obstacles aux ondes radios et pour offrir une sécurité supérieure à un coût raisonnable. Une bonne surprise cependant est possible ! ".

Fumio Tateisi imagine, quant à lui, que, d’ici vingt ans, chaque contrôleur et composant de contrôle-commande des machines de production sera propriétaire d’une adresse IP. " Les utilisateurs finaux pourront sous-traiter la maintenance de systèmes à un coût raisonnable à un constructeur de machine (OEM) ou des intégrateurs système en utilisant un protocole réseau. D’un autre côté, les fonctionnalités de sécurité de l’information seront nécessaires pour prévenir les fuites des savoir-faire de production vers les sous-traitants ".

 

Jautomatise : Votre métier ressemblera à quoi dans dix ans ?

" Logiciel et matériel ne sont pas deux éléments séparés, mais les composantes d’une solution d’automatisation conçue pour une unité, une machine ou une installation. Les connaissances techniques requises dans les différents domaines d’utilisation seront progressivement intégrées. Les développeurs de logiciels, les constructeurs de machines et les électrotechniciens devront travailler ensemble pour élaborer au final une solution d’automatisation réussie ", répond Helmut Gierse. Il explique que dans l’avenir, " Siemens fournira aussi bien des systèmes d’automatisation complets que des composantes en tant que produits de base permettant à des intégrateurs système indépendants de proposer leurs solutions. Siemens proposera également des prestations d’ingénierie et de maintenance pour une solution complète d’un "fournisseur unique"".

Schneider quant à lui se contentera d’apporter aux intégrateurs les composants de base nécessaires au développement de solutions. Alain Marbach explique " Nous ne vendrons pas de systèmes clé en main, ou de solutions à la place de ces acteurs. Cela nous prive de la croissance que génère une intégration aval, mais cela nous donne ensemble, les acteurs intermédiaires qui développent des connaissances applicatives et nos équipes qui développent des objets performants pour eux, la meilleure compétitivité totale, la meilleure couverture applicative, la meilleure vitesse de développement et d’innovations".

Quant aux métiers d’Omron, ils seront un mélange de deux composantes : "l’une correspondant à une offre matérielle et logicielle répondant aux exigences QCDS (Quality/Cost/Delivery/Service) les plus élevées et destinée aux intégrateurs de systèmes de contrôle commande. L’autre correspondant à une offre de solutions permettant de résoudre les problèmes applicatifs des clients dans les domaines de la qualité, de la sécurité des machines et de l’environnement".

 

Jautomatise : Et dans 20 ans ?

Il devient difficile de bien apprécier son propre métier au-delà de dix ans comme le précise Alain Marbach, " à chaque décennie, nous verrons des ruptures technologiques, lorsque les volumes, les technologies électroniques permettront de regrouper plusieurs fonctions séparées, en un produit unique, plus efficace, plus compact ". Et Helmut Gierse de conclure : " Nous tâcherons de relever les défis technologiques qui se présenteront à nous ".

Propos recueillis par Guy Fages

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