Informatique-Industrielle

Siemens sur la voie de l’entreprise numérique


Par Siegfried Russwurm,
membre du Directoire de Siemens AG


 


La numérisation est désormais
incontournable dans les sociétés modernes. Elle s’invite notamment dans le
développement innovant de processus et de produits industriels, qui s’appuie
très largement sur les technologies de l’information et les produits logiciels.
La mutation progressive d’Internet en un réseau où même les objets, les
appareils, les machines et les systèmes communiquent entre eux, nous fait vivre
un changement radical. Ce changement, décrit par le concept d’Industrie 4.0 en
Allemagne, entraînera l’intégration des mondes numérique et réel à une
plateforme d’entreprise numérique.


Pendant des décennies, l’industrie
manufacturière a optimisé les processus de développement et de fabrication de
ses produits. Pour cela, elle s’est largement appuyée sur des logiciels
industriels. Aujourd’hui, au lieu de créer des prototypes et des modèles
matériels, elle virtualise ses tâches de développement et de test, et les
données relatives aux modèles de produits numériques servent de base à la
fabrication. La structure de la chaîne de création de valeur s’est également
totalement transformée. Les entreprises dont l’avenir se jouait auparavant
principalement à l’usine ont été remplacées par un réseau international de
fabricants, partenaires et fournisseurs.


Des logiciels, tels que NX et Solid Edge
de Siemens PLM Software, prennent en charge la conception et le développement
des produits. En réalité, même le calcul et la simulation des futures
propriétés et fonctions sont gérés via des outils informatiques. Les systèmes
actuels s’appuient toutefois encore principalement sur des disciplines
techniques individuelles pour générer et tester des modèles. Il faut donc
ensuite relier ces systèmes aux modèles qu’ils élaborent. Les systèmes modernes
doivent être envisagés du point de vue de leur interaction fonctionnelle. C’est
pourquoi Siemens a récemment fait l’acquisition, entre autres, de la société
belge LMS.


L’ingénierie et la planification de la
production s’effectuent également via des logiciels. Chez Siemens, nous
proposons Tecnomatix pour l’usine numérique et TIA Portal pour la production.
Avec l’automatisation totalement intégrée (TIA), nous avons dessiné, il y a
déjà plusieurs années, le chemin pris actuellement par l’industrie. Le TIA
Portal démontre aujourd’hui qu’il est possible de gagner sensiblement en
rapidité et en productivité dans le développement, la planification et le
contrôle de la fabrication si une seule et même interface gère tout ce qui
relevait auparavant de plusieurs systèmes.


L’ensemble de la chaîne de création de
valeur doit pouvoir bénéficier des données issues de l’ingénierie ou des
essais. De même, les entreprises modernes doivent être capables d’exploiter les
données de la production et des services afin d’apporter des modifications et
de procéder à de nouveaux développements. Par exemple, dans notre usine
d’électronique d’Amberg, l’efficacité conjuguée des systèmes MES (Manufacturing Execution System) et de la gestion du cycle de
vie des produits (Product Lifecycle Management = PLM) a
permis de faire passer le taux d’erreur de 24 par million en 2007 à tout juste
15 en 2011.


Les produits ont également évolué et
continuent dans cette voie à un rythme encore plus soutenu, là aussi sous
l’impulsion des logiciels. Un logiciel intégré permet le développement et
l’élaboration de systèmes techniques « intelligents »
dont les technologies de capteurs et d’actionneurs, en réseau sans fil via
Internet et d’autres services aux protocoles standard, limitent les
interventions humaines en rendant les actions et la communication de plus en
plus autonomes. Ces systèmes sont dits cyber-physiques (CPS). Et bien entendu,
ces innovations concernent également les systèmes de production et
d’automatisation qui contribuent à la mise sur le marché de ces produits.


Les industriels sont actuellement confrontés à un profond
bouleversement : la fusion des mondes réel et virtuel des processus de
développement et de fabrication des produits au travers des logiciels
industriels et des technologies de l’information. Ce changement porte en lui la
promesse de gains de productivité tellement importants que les entreprises
tournées vers l’avenir le placent en tête de leurs priorités.


Il reste cependant beaucoup à faire. Pour fonder des
entreprises numériques parallèles en mesure de s’intégrer véritablement aux
entreprises réelles, tous les outils nécessaires doivent être mis en réseau au
sein d’une plateforme commune. Cette « plateforme
d’entreprise numérique »
exige une standardisation poussée et des
outils ouverts. Elle réclame également une simplicité d’utilisation, à l’image
de celle des appareils mobiles actuels. Le défi que doit relever l’industrie
moderne s’apparente à une opération à cœur ouvert. Bien que les modèles
existants servent de base aux processus de production, de nouveaux modèles
répondant aux besoins du futur doivent être créés.


La vision et la mise en œuvre d’Industrie 4.0


Orienté vers l’avenir, Industrie 4.0 offre une réponse à
cette mutation, qui se reflète dans la convergence des technologies de
l’information et des logiciels modernes, avec des processus industriels
traditionnels, ainsi qu’à son impact révolutionnaire sur l’industrie.


Il est légitime de penser que la généralisation de ces
technologies dans le secteur industriel prendra du temps, malgré toutes les
avancées qu’elles apportent. Nous devons par conséquent marquer une distinction
entre la représentation qui peut être faite d’Industrie 4.0 et les étapes
nécessaires à sa mise en œuvre.


Dans sa représentation, le produit joue un rôle actif dans le
processus de production. Les mondes numériques et physiques des usines « intelligentes » fusionnent de manière
transparente. Les produits intègrent l’ensemble des informations indispensables
à leur fabrication.


Dans leur interaction avec les systèmes cyber-physiques, ils
peuvent être identifiés et localisés. Ils connaissent en outre leur historique,
leur statut en cours et les différents moyens d’atteindre le statut prévu. Il
en résulte un réseau auto-organisé de machines, systèmes d’inventaire et autres
ressources qui échangent des données en toute autonomie et en temps réel et qui
se contrôlent mutuellement. Les CPS identifient des scénarios acceptables, qu’ils
comparent et évaluent en fonction de critères d’optimisation prédéfinis, puis
déterminent les meilleurs enchaînements.


Les systèmes de production sont donc mis en réseau selon deux
dimensions : (1) verticale, avec les processus opérationnels internes aux
usines et aux entreprises, et (2) horizontale, avec les réseaux distribués de
création de valeur, de la commande à la livraison. Ces deux réseaux
dimensionnels autorisent et exigent une ingénierie tout au long du cycle de vie
du produit. « Les systèmes cyber-physiques vont
révolutionner la production, la mobilité et la santé »
, promet
l’Acatech, l’Académie allemande des sciences et des techniques, dans une
déclaration de principe. Elle prévoit que les nouveaux processus de production
généreront des gains de productivité de l’ordre de 30 à 50 %.


Mais le chemin est encore long pour atteindre des objectifs
aussi ambitieux. L’élément clé/majeur d’Industrie 4.0 est actuellement
représenté par la plateforme d’entreprise numérique, qui, comme décrit
précédemment, relie les mondes réel et virtuel de la fabrication au sein d’un
environnement de développement uniforme, et d’une infrastructure informatique
bidirectionnelle de bout en bout où les données sont harmonisées, de l’atelier
à la direction de l’entreprise. La représentation d’Industrie 4.0 ne pourra se
concrétiser sans intégration de cette ampleur.


En Allemagne, la mise en œuvre de ce concept bénéficie du
soutien massif du Gouvernement, y compris financier. Dans le cadre de sa
stratégie de haute technologie, le Gouvernement allemand consacre à ce projet
une enveloppe de 200 millions d’euros. Le segment ne connaîtra toutefois pas
d’explosion technologique.


Son évolution sera certainement très progressive, ce qui ne
sera pas sans poser quelques difficultés, entre autres de migration, de normes
à définir, de développement continu des technologies de capteurs et de mise en
place de concepts, de stratégies et de mesures de sécurité. Ce n’est qu’après
plusieurs décennies que nous pourrons nous retourner sur le passé et déterminer
si l’expression « quatrième révolution
industrielle »
se justifiait, comme pour les précédentes
révolutions industrielles du reste.


Dans ce contexte, Siemens est à la fois fournisseur et
client. Notre vision naturellement holistique de l’ensemble du processus de
création valeur d’une entreprise qui conçoit et fabrique des produits exerce
une influence déterminante sur le choix et le développement des logiciels que
nous proposons. Nous sommes doublement intéressés par la concrétisation rapide
de l’entreprise numérique.


Le facteur humain d’Industrie 4.0


Contrairement à ce que craignent certains, l’Homme ne tiendra
pas un rôle moins important qu’actuellement avec l’avènement d’Industrie 4.0.
Il sera chargé de concevoir les produits, systèmes et infrastructures de
fabrication de manière intelligente, ce que les CPS seront incapables de faire.
Il définira également les règles et objectifs de production en imposant, par
exemple, à un stade donné, l’efficacité énergétique comme le principal critère
d’optimisation. Ce n’est qu’alors que les CPS entreront en scène, d’abord pour
identifier les options de production dans le cadre des paramètres définis par
l’Homme, puis pour évaluer les différentes solutions et sélectionner la plus
viable.


Bien sûr, une plus grande interconnexion imposera aux acteurs
impliqués différentes exigences, et ce, dans le monde virtuel, concernant
l’intégration du processus de planification créative à l’analyse des besoins,
la conception des produits et la planification de la production, comme dans le
monde réel de la fabrication et de la logistique, s’agissant du processus
opérationnel.


Plus que jamais, les nouvelles formes de développement et de
production obligeront les personnes à maîtriser des aspects de plus en plus complexes,
à travailler de façon indépendante, à s’acclimater à une certaine
décentralisation de l’encadrement et du contrôle et à se familiariser avec une
approche multidisciplinaire inédite de leur travail.


Dans l’usine « intelligente »,
les ouvriers n’endosseront plus le rôle d’opérateurs mais se verront attribuer
des fonctions de contrôle et de régulation. Industrie 4.0 créera un besoin
vital pour eux de prendre des décisions et d’optimiser les processus de manière
active. Les usines ne se videront donc pas de leur personnel.


Les ouvriers rempliront des tâches fondamentales de
conception, d’installation, de mise à niveau, d’entretien et de réparation de
systèmes de production cyber-physiques complexes et de nouveaux composants
réseaux. Ils modéliseront de plus en plus les sites de production, décriront
les seuils et définiront et pondéreront les algorithmes d’optimisation qui
permettent aux systèmes informatiques adaptatifs d’exécuter indépendamment des
simulations et d’évaluer les alternatives. Les produits ne décident, en effet,
pas eux-mêmes comment ils doivent être fabriqués. Tout au plus choisissent-ils
les meilleures options de production parmi celles qui existent.


La « quatrième révolution
industrielle »
bouleversera en définitive les qualifications du
personnel. Plus précisément, la technicité et les exigences croissantes des
produits et modes de production réclameront un niveau d’expertise accru.


À l’instar de la fusion progressive des mondes réel et
virtuel dans le processus de fabrication, il se dessinera un rapprochement
entre travail intellectuel et travail manuel.


Les sites du
futur se caractériseront par des formations internes et des attributions bien
plus souples et imprévisibles. Les services RH des entreprises n’auront pas la
tâche facile. Et ce sera également un défi pour les sociétés et leurs systèmes
éducatifs, de l’école primaire à l’université et à la formation continue en
passant par l’enseignement professionnel. 


 


Siegfried Russwurm


  • -Member of the Managing Board of Siemens AG
  • -Né en 1963 en Allemagne, il est chez Siemens – CEO Industry Sector,
    Corporate Security Office, Corporate Information Technology (CIT), Supply Chain
    Management (SCM), Africa and Middle East
  • -Après avoir
    travaillé au sein de l’University of Erlangen-Nuremberg de 1988 à 1991, il
    rejoint Siemens en 1992.
  • -Il commence sa
    carrière dans le département Medical Engineering, prend en 1999 la tête de la
    division Electromedical Systems.
  • -En 2003, il
    dirige la division Motion Control Systems
    .


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