EconomieRobotique

Industrie 2017 : La cobotique pour la mécanique

La cobotique commence à pénétrer les entreprises
et les premiers retours d’expériences montrent
le potentiel pour les industries mécaniciennes.
Rapidité d’installation, facilité de mise en service,
apprentissage simplifié sont quelques-uns des
avantages fréquemment mis en avant mais contre
toute attente, c’est surtout l’acceptation des
cobots par les opérateurs qui plaide en leur
faveur.

Jonathan Lucas, responsable commercial et marketing de Lucas
France, Pascal Laurin, directeur Industrie 4.0 des Usines Bosch, Yvan
Measson, PDG et fondateur de Sybot Industries et Laurent Olympie,
chef de projets chez Altran, ont répondu aux questions du rédacteur
en chef de Jautomatise, afin de faire le point sur les solutions
permettant de faire cohabiter l’homme et le robot dans un même
espace de travail.

Quelles sont les particularités d’un robot
collaboratif et en quoi est-il emblématique de
l’Industrie 4.0 ?

Laurent Olympie – Le robot collaboratif est né, il y a à peine cinq
ans alors que son prédécesseur industriel est là depuis quatre
décennies. A la différence de ce dernier, l’équipement collaboratif
permet à l’opérateur de travailler à ses côtés sans barrière. Partant, il
apporte un certain niveau de flexibilité.

Yvan Measson – On peut aussi dire que si le terme « robot »
est normalisé, ce n’est pas le cas pour la notion de « robot
collaboratif »… on parle d’ailleurs de robot à fonctionnement
collaboratif. Je dirai qu’il y a en quelque sorte deux
niveaux : le premier consiste à pouvoir travailler à côté de la
machine quand le second niveau sera plutôt de pouvoir travailler
avec, c’est-à-dire d’être en mesure de partager non seulement
l’espace mais aussi, les tâches à accomplir. C’est d’ailleurs cet
objectif que nous nous sommes fixé dans la société Isybot en
proposant des machines très simples d’utilisation, ne nécessitant
aucune compétence robotique particulière.

Pascal Laurin – Bosch est parti d’une base de robot
standard pour le rendre collaboratif en s’appuyant sur
les bureaux d’études et des méthodes internes. Cette
base a été choisie pour ses performances en termes
de précision et de répétabilité mais en le dotant
de fonctions qui lui permettent de travailler avec
l’opérateur en l’enveloppant d’une armature sensitive
souple. Ainsi, le robot s’arrête lorsque l’opérateur est
à moins de cinq centimètres puis il reprend sa tâche
lorsque ce dernier s’éloigne. Si un robot industriel peut
connaître deux ou trois utilisations tout au long de sa
vie, un robot collaboratif peut lui, remplir deux ou trois
fonctions différentes chaque jour.

Qu’est-ce qui explique que cette
technologie arrive aujourd’hui ?

Yvan Measson – L’origine du travail collaboratif date
d’une évolution de la directive-machine en 2006, ce qui
remonte donc à plus de dix ans. Cinq ans plus tard, il y
a eu l’évolution de la norme ISO 10218 qui a permis de
travailler à côté des robots industriels sous-tension et en
mouvement.

A partir de ce moment, un certain nombre d’acteurs,
danois notamment, se sont positionnés pour proposer
des machines ne nécessitant pas d’installer des barrières
de sécurité pour peu qu’une analyse de sécurité ait été
correctement réalisée. Pour une fois, c’est donc d’abord
la directive-machine puis la norme qui ont évolué
sans qu’une application particulière pousse à cette
transformation.

Pascal Laurin – Il y a aussi un aspect économique… je n’ai
pas une valeur très précise en tête mais je crois que pour
intégrer un robot classique dans une usine, on n’est pas
loin de doubler son prix pour l’acquisition et la mise en
place des systèmes de sécurité comme les grillages et les
barrières immatérielles.

Un robot collaboratif est pratiquement intégrable
immédiatement sans surcoût du point de vue matériel
et la mise en route opérationnelle pour certaines tâches
s’effectue en parfois seulement deux ou trois jours. C’est
donc un équipement qui est aujourd’hui très prometteur,
spécialement pour les PME et nous n’avons encore rien vu.

Laurent Olympie – Je pense qu’effectivement nous n’en
sommes encore qu’au tout début. J’ajouterai que depuis
dix-huit mois, on assiste à l’émergence de fonctions
supplémentaires sur les robots collaboratifs. Ces
équipements sont pensés et conçus chez des industriels
mais aussi dans des start-up et dans des universités
par des chercheurs. Du coup, il existe aujourd’hui une
gamme très large de produits qui ne sont pas toujours
comparables et avec des cas d’utilisation extrêmement
variés, des capacités en transport de charge allant
de quelques centaines de grammes à des dizaines de
kilos… tout cela avec des niveaux de sécurité qui étaient
inimaginables il y a cinq ans.

Tous les robots collaboratifs offrent-ils le
même niveau de sécurité ?

Jonathan Lucas – Tout va dépendre des technologies
qui sont appliquées. Sur les robots Comau que nous
distribuons, on trouve sept systèmes de sécurité
différents, ce qui est indispensable puisque l’un des
modèles peut transporter jusqu’à 110 kilos. D’autres
cobots ne comportent que des dispositifs de détection
de retour d’effort, ce qui peut suffire dans certaines
applications.

Yvan Measson – Pour l’heure, il n’y a pas beaucoup
d’entreprises en France qui ont installé des robots
réellement collaboratifs, c’est-à-dire fonctionnant sans
barrière. Il y a un certain frein à l’adoption de cette
technologie, tout d’abord pour des raisons culturelles.
Le Cetim par exemple, a mis au point une application
parfaitement sécurisée en ce qui concerne l’opérateur
mais cela reste encore marginal.

Laurent Olympie – La sécurité est
l’enjeu majeur. Il faut lors d’un déploiement, faire
passer un organisme de contrôle, ce qui est obligatoire. Il y a
des choses qui existent mais tout n’est pas normalisé à 100 %. Cela
dit, la demande au niveau des entreprises industrielles françaises
progresse. La cobotique se développe et je pense qu’il y a déjà une
centaine d’équipements de ce type en service.

Pascal Laurin – Dans les usines Bosch, les cobots sont utilisés dans
des applications classiques : de l’assemblage, du pick-and-place,
de l’aide à l’opérateur. Aujourd’hui, il n’y a pas encore d’applications
spécifiquement réservées aux équipements collaboratifs. La question
de la place de l’homme par rapport à la cobotique se pose : ces
machines peuvent notamment décharger l’opérateur des tâches
répétitives, harassantes et sans la moindre valeur ajoutée afin de lui
permettre d’évoluer vers des fonctions plus intéressantes.

Yvan Measson – La vraie problématique est celle de la valeur
ajoutée. Nous, nous prenons le parti d’adjoindre un auxiliaire à
l’opérateur et non de le remplacer. Par exemple, notre cobot fait du
ponçage. La valeur ajoutée de la personne consiste à maîtriser le
geste. Où faut-il poncer ? Avec quelle force faut-il appuyer ? Quel
grain choisir ? Le reste consiste en une répétition de gestes pénibles
qui sont source de TMS, d’exposition à des vibrations, à la poussière,
etc. Ce que nous avons fait, c’est de permettre que le savoir-faire
de l’opérateur s’exprime au travers d’une machine. L’opérateur s’en
saisit, montre par quatre points quel chemin parcourir et la lance. Le robot crée alors du temps masqué qui permet à l’opérateur de faire
autre chose. Ce n’est pas un remplacement de l’opérateur mais bien
un travail qui s’effectue à ses côtés et qui lui permet de créer de la
valeur ajoutée ; c’est-à-dire exactement l’inverse de ce qui se pratique
avec la robotique industrielle classique.

Jonathan Lucas – La robotique classique va continuer de s’imposer
partout où il faut suivre des cadences de production élevées sans
faire beaucoup varier le processus suivi et la cobotique va intervenir
dans les tâches où la rapidité n’est pas nécessairement le facteur de
création de valeur mais où la souplesse et l’adaptabilité est assurée
par l’interaction avec l’humain qui apporte l’intelligence et ses
capacités de jugement.

Quelles sont les activités industrielles qui sont
plus spécialement concernées par la cobotique à
court terme ?

Laurent Olympie – Même dans une production qui peut sembler
très uniforme comme l’automobile, il y a déjà des variations à la fois
nombreuses et très importantes. Même dans un même modèle,
tous les véhicules n’ont pas le même nombre de portes, la même
motorisation, le même type de revêtements pour les sièges, etc. Le
cobot est un des éléments qui apporte de la flexibilité.

Yvan Measson – On est en train de donner un peu d’autonomie à
des outils et c’est l’homme qui prescrit le travail. Il retrouve donc une
place dans l’usine 4.0, ce qui est l’inverse des évolutions auxquels nous
avons assisté jusqu’à présent. Il faut comprendre qu’une cellule où
interviennent à la fois, l’homme et le cobot est beaucoup plus simple à
concevoir en termes d’algorithmie et donc beaucoup moins coûteuse et
plus rapide à mettre en production. Une cellule de ponçage entièrement
automatisée peut coûter jusqu’à 300 000 euros alors que nos cobots
valent 100 000 euros, ce qui permet de couvrir le salaire de l’opérateur
pendant des années tout en profitant de toute la flexibilité qu’il apporte.
Laurent Olympie – L’opérateur va surveiller ce que fait le robot et il
va contrôler le résultat. L’opérateur n’est pas remplacé par le cobot,
c’est lui au contraire qui le pilote. Les tâches prises en charge par le
cobot permettent de confier d’autres missions à l’opérateur tout en
le mettant à l’abri des tâches abrutissantes.

Va-t-on vers une standardisation dans les
méthodes de programmation des robots
collaboratifs ?

Yvan Measson – Il y a plusieurs modalités. Celle que nous avons
choisis, c’est la démonstration en enregistrant des événements
avec un bouton pendant que l’on guide le bras d’un point à un
autre. On rencontre aussi des modalités de programmation avec des
interfaces tactiles qui ressemblent à des smartphones et qui sont extrêmement faciles à utiliser avec des graphsets que chacun
a manipulé dans son parcourt scolaire. La programmation est
donc loin d’être standardisée mais c’est l’intégrateur qui peut
réellement apporter de la valeur en proposant une interface de
programmation adaptée à une population donnée sur un marché
spécifique. Ce sera plus de l’ergonomie que de l’intégration
comme on l’a connue mais il y a dans ce domaine une fonction à
occuper pour accompagner le développement de la cobotique.

Laurent Olympie – Le cobot est une brique de l’usine 4.0 et
il va se banaliser. Lorsqu’on regarde les fonctionnalités et la
programmation, d’énormes progrès viennent d’être accomplis
en quelques mois. Le marché offre de très belles perspectives
et les nouveaux acteurs apportent une nouvelle manière
d’aborder la robotique, ce qui chamboule la donne et fait réagir
les constructeurs de robots bien connus en créant un climat
d’émulation favorable à l’innovation.

Yvan Measson – Le cobot est un élément qui travaille avec
l’opérateur mais il est aussi en relation avec toute la chaîne de
production. Il peut par exemple, tenir compte de retards qui ont
été pris en amont du poste auquel il est intégré et faire remonter
des informations utiles pour comprendre ce qui s’est passé et
adapter les flux en conséquence. L’opérateur a l’intelli
ence mais
la machine a une bonne connaissance de l’espace et du temps
qui doit être consacré à chaque tâche. Le cobot permet donc
d’avoir un retour précieux sur la manière dont les opérations se
déroulent et aussi, se succèdent. C’est une notion importante
pour laquelle des développements peuvent et doivent être
entrepris.

Comment ces machines sont-elles acceptées
par les salariés dans les usines ?

Pascal Laurin – Chaque usine Bosch a déployé sa stratégie, ce
qui a directement impliqué les personnes. L’autre élément qui a
joué dans l’acceptation, c’est l’absence de grillage. L’opérateur a
tendance à vouloir prendre en main cette machine puisqu’elle est
à sa portée et qu’elle n’arrive pas pour le supplanter mais pour lui
éviter des tâches pénibles.

Yvan Measson – Nous avons fait des essais au sein de la
SNCF qui est une entreprise où les CHSCT sont très attentifs à
la nouveauté et où le contexte social n’est pas toujours facile.
L’acceptation a été immédiate ; les opérateurs ont constaté
que leur poste gagnait en confort de travail : plus de vibration
dans les mains et dans les bras, possibilité de faire autre chose
pendant que l’appareil effectue un ponçage.

Quels sont les principales sources de retour sur
investissement pour la cobotique ?

Yvan Measson – Les troubles musculo-squelettiques coûtent
de l’ordre de 1,1 milliard d’euros chaque année en France et sans
même avancer de chiffres sur la perte de productivité. Il faut aussi
tenir compte de la capacité qu’auront les entreprises d’attirer
de nouveaux collaborateurs si elles veulent progresser et se
développer. En supprimant les tâches pénibles dans l’industrie et en
revalorisant ce que l’humain apporte, on crée un véritable appel d’air
à un moment où l’augmentation des coûts liés à la délocalisation –
délais, transports et même, main d’œuvre – inclinent à se recentrer
sur une production locale.

Pascal Laurin – Le cobot peut aussi bouleverser les modèles
économiques en opposant la production de masse totalement
impersonnelle avec des produits qui peuvent être adaptés et
déclinés en fonction des attentes, voire des tendances qui animent
le marché. Alors certes, le cobot est moins rapide qu’un robot
industriel encagé mais il répond aux problématiques que soulèvent
une production de plus en plus spécialisée et de produits de plus
en plus personnalisés. De cobots permet de traiter des lots moins
volumineux, de réagir plus vite et d’être en plus en phase avec
la chaîne logistique. Alors, on n’est pas là stricto sensu dans une
problématique de ROI mais cela fait partie des avantages qu’un
industriel peut retirer de cette technologie en allant gagner des
parts de marché grâce à la flexibilité et l’adaptabilité. C’est là, l’un
des moyens de garder des industries en France.

Laurent Olympie – L’innovation et à ce titre, la cobotique est
emblématique de l’Industrie 4.0, est toujours profitable aux
entreprises qui n’hésitent pas à se remettre en cause et à revoir
leurs modèles pour en tirer parti.

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