Informatique-Industrielle

Le MES s’implante… doucement

Le terme MES (Manufacturing Execution System) reste bien difficile à appréhender, et ce ne sont pas les premières Assises organisées par le Club MES qui ont définitivement réglé le problème. Voici deux cas d’école présentés lors de cette journée, l’un chez Corning et l’autre chez Alcatel.
Le terme MES (Manufacturing Execution System) reste bien difficile à appréhender, et ce ne sont pas les premières assises organisées par le Club MES qui ont définitivement réglé le problème, cela malgré une idée intéressante de montrer au travers d’une usine virtuelle comment les liens s’imbriquaient entre les niveaux. Le fait de devoir recourir à cet artifice, montrait bien que la tâche est ardue.
Outre les exemples présentés (voir ci-après) ce premier rendez-vous faisait regretter le MIPS lancé par le Gimelec au début des années 2000 et qui réunissait trois fois plus de personnes, sur Lyon, avec une thématique pas très éloignée. Dommage également que ces assises aient eu lieu trois semaines avant le salon de la profession (SCS Automation & Control), ce qui aurait sûrement permis de remplir encore mieux la salle, mais surtout fait descendre au plus près l’information, une mission principale que s’est donné le Club MES lors de sa création. Une attitude bien française, ce rendez-vous réunissant des utilisateurs mais également une partie exposition/présentation réservée à certains membres, l’ensemble aurait sûrement était mieux en valeur sur un salon, d’autant plus qu’une bonne partie des spécialistes du MES y présenteront leurs offres.
Mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos fonctions du MES. Car partir du principe que le MES se retrouve sous la forme d’un logiciel unique, plug and play, livré dans un boite au format A4, comme pour Office, serait un trompe l’œil. De onze fonctions originelles le MES, via la S95, est passé à huit avec pour volonté d’amener une certaine interopérabilité, mais ne rêvez pas si vous prenez une partie de chez Abb, une d’Avansys, une d’Ordinal et un peu de Rockwell, vous risquez bien de trouver que le terme interopérabilité n’est pas forcément approprié.
Un MES. Pourquoi ?
A la question, « un MES, mais pourquoi faire ? » découlent d’autres questions bien plus opérationnelles qui consistent à rechercher quel fournisseur a fourni le colorant utilisé dans le yaourt refusé par le contrôle qualité, ou de connaître quels sont les coûts de productivité perdus sur la ligne 4 en raison de réglages difficiles. Des réponses qui ne peuvent être obtenues qu’en croisant les informations en provenance de plusieurs services.
Comme le précise Philippe Allot d’Ordinal « c’est l’échelle de temps qui permet le plus souvent de différencier ce qui reste du domaine du planning et de la logistique et qui revient aux logiciels d’ERP ou de GPAO, ou va au contraire concerner le contrôle/commande et la supervision de terrain ». Dans le premier cas la contrainte est de l’ordre de la journée, et dans le dernier de la seconde, voire de la milliseconde. Pour le MES, qui regroupe des fonctions d’exécution, ce sera la minute.
Aujourd’hui ce MES atteint l’âge adulte. Créé au début des années 90, il intégrait onze fonctions issues du MESA et permettait de séparer le monde de l’ERP qui ne pouvait tout faire et celui du contrôle/commande, mais il restait à l’organiser. Dans MES il y a le terme d’Exécution, mais aussi celui de Système. Il ne faut donc pas résumer le MES à un connexion de fonctionnalités, mais le considérer comme un système qu’il faut organiser.
Pour cela, il fallait mettre en place une sorte de colonne vertébrale. C’est l’ISA, avec la S95, qui a eu la tache d’organiser le MES autour de huit fonctions qui s’appliquent aussi bien à la maintenance qu’à la production ou à la qualité.
Tous des Jourdain
Mais qui fait du MES ? Pour Pascal Lucas, Ingénieur Chef de Projet de Corning, la réponse à cette question est simple « savoir si je fais du MES ou pas, ce n’est pas mon problème. Ce sont des termes qui ne veulent pas dire grand chose. Du MES, nous en faisons sans le savoir ». Mais de préciser immédiatement « ce qu’il y a de certain, c’est que si demain nous enlevons les fonctionnalités mises en place, les gens de terrain nous tuent ».
Avec une première implantation du site verrier en 1753, l’usine de Bagneaux sur Loing, appartenant maintenant au groupe Corning, en a vu passer des technologies. Aujourd’hui, son activité représente un chiffre d’affaires de 65 millions d’euros dont 90% à l’exportation, et ce sont près de 400 personnes qui sont employées dans cette unité pour produire tout aussi bien des optiques d’objectifs d’appareils photos que des verres ophtalmiques.
Pour l’instant la mise à niveau n’a concerné que la partie four. L’objectif visé consistait à remplacer des applications locales, incluant une supervision par four pour aller vers un ensemble plus homogène avec une architecture donnant la possibilité de piloter les installations à partir d’un PC déporté, relié au réseau Ethernet. En dehors de gains évidents en terme humain, les contraintes de ce site classé Seveso II induisait une position de repli en cas de problèmes, avec la possibilité de reprise en main des installations hors zone.
De cette réorganisation allait découler une fédération des sources de données liées à la production et une centralisation des données avec mise à disposition pour des analyses process. Une chose impossible auparavant, surtout que chaque four comporte environ 80 zones de chauffe différentes. A chaque production les opérateurs relevaient sur une feuille de papier grand format les températures de chacune des zones afin de conserver une traçabilité process et ainsi pouvoir renouveler la production à l’identique.
Aujourd’hui, un conducteur gère non plus un mais trois fours, sur un total d’une dizaine de fours. Et surtout les relevés se font de façon totalement automatique. Un archivage général a lieu deux fois par heure, avec une remontée au niveau de la base Oracle toutes les heures.
Logger, délogger
Autre expérience que développe, non sans humour, Pascal Lucas, c’est le logging des opérateurs. « Au départ personne ne voulait se logger, de peur d’être fliqué ». Un problème d’autant plus important que Corning étant une société américaine, le simple fait d’un suivi personnalisé risquait de poser problème. « La solution a été de créer des loggins anonymes différents selon qu’ils étaient destinés aux opérateurs, au personnel de la maintenance ou de la qualité, certaines personnes ne pouvant pour des raisons évidentes piloter un four ».
Il ne fallait pas que ce type de frein, mineur, puisse bloquer la mise en place de l’ensemble de l’application. Mais aujourd’hui tout le monde se logge avec son nom. Car le système à son revers, en arrivant sur place l’opérateur se logge, et en repartant se délogge, or avec un logging anonyme en cas de problèmes de production plusieurs opérateurs pouvaient se sentir visés, alors qu’un seul était responsable.
Tournant avec GlobalScreen Intra d’Ordinal, l’application permet pour l’instant d’organiser les taches, de maîtriser les droits des opérateurs, de contrôler l’ensemble des entités de production, d’archiver et d’exploiter les données. Reste la traçabilité qui est la prochaine étape avec la volonté pour Corning de savoir la provenance de la matière première mise en œuvre pour la production de chaque verre.
Et Pascal Lucas de rappeler que c’est en interne le département automatismes qui développe l’ensemble des interfaces homme/machine « un gros avantage, lorsque les opérateurs nous ont demandé de visualiser une vue générale de contrôle qui répertorie les informations de température du four, heure par heure, nous leur avons fait. Même si pour nous cet outil n’était pas indispensable ».
Attention à la délocalisation
Autre exemple détaillé lors de la journée, celui d’Alcatel. Les industriels de l’électronique se doivent de faire attention à tous les petits détails. Chaque centime est traqué. Dans la période actuelle ou les machines de fabrication de cartes sont disponibles dans le monde entier quel est l’intérêt économique pour une entreprise de produire en quantité en France ?
Malheureusement, Alcatel fait partie de ces entreprises qui ont au fil des ans ont dû arrêter toute production de masse en France pour les délocaliser. Il ne reste plus, chez nous, que des productions de petites séries ou de prototypes. Et pour combien de temps ? Difficile à dire, la seule réponse est de garder une longueur d’avance le plus longtemps possible. Surtout qu’Alcatel revient de loin, il n’y a pas si longtemps il restait le fournisseur privilégié de l’opérateur national de téléphonie. Aujourd’hui tout a changé.
De ce « confort », il a fallu se remettre en cause, c’est ce que fait depuis quelques années l’usine d’Eu en Normandie qui avec 800 personnes s’est en partie spécialisée dans la production de cartes spécifiques pour le monde de la téléphonie. Et le chemin à parcourir était énorme, en 2000 le suivi de production se faisait à partir d’une base Excel avec saisie manuelle, sans lien avec l’ERP de l’entreprise.
Durant les deux années suivantes, des progrès ont été apportés au système, mais il s’essoufflait et montrait ses limites. Quel outil choisir ? Comme le raconte Thierry Gosset, directeur de production, « en recherchant sur le marché, nous trouvions des produits qui faisaient tout, mais restaient énormes, alors que nous souhaitions une solution proche du terrain, et non une usine à gaz ».
C’est chez Avensy qu’Alcatel a trouvé son bonheur avec la mise en place d’une première ligne fin décembre 2005. Aujourd’hui ce sont 7 lignes de production qui sont opérationnelles, avec une connexion en provenance de l’ERP, l’un des souhaits était d’être compatible avec le réseau informatique de l’entreprise.
Ne pas casser l’organisation
« Le principal écueil à éviter, reste de ne pas casser l’organisation en place. Notre solution intégrait un partage avec l’ensemble des acteurs. Après quelques mois de recul, nous nous apercevons que c’est l’outil qui dynamise les équipes ». De toutes les manières, rappelle Thierry Gosset « on ne fait rien seul. Il faut certes une locomotive, mais sans les wagons l’argent est dépensé pour rien. Sans compter qu’il faut prouver à la Direction que les investissements ne font pas partie de la ligne Gadgets ».
Comme souvent, l’ERP, Sap dans ce cas, reste maître dans la gestion de la production. C’est le logiciel Aquivus qui utilise ensuite les données ERP, que ce soit les ordres de fabrication, les processus ou les temps de réalisation. Les ordres de fabrication transférés dans le MES, sont ensuite planifiés sur les différentes lignes de production. En parallèle tout le papier a été supprimé, ce sont les pdf qui ont pris le pouvoir avec pour les opérateurs une obligation d’ouverture de la documentation liée à une production, sinon cette dernière ne peut pas démarrer.
Pour l’instant, tout se fait en sens unique, aucune remontée du terrain ne va dans la partie informatique, les informaticiens ayant peur d’intégrer des données qu’ils ne maîtrisent pas.
Contrairement au cas précédent de Corning, Alcatel ne souhaitait aucun, ou très peu, de développement en interne. Pari pratiquement réussi, les informations de production proviennent directement des machines via un bus de terrain, seule l’interface entre Sap et Aquivus a fait l’objet d’un développement. A l’inverse, le volume des données à stocker n’a pas nécessité l’investissement d’un serveur dédié.
Sur le terrain les opérateurs ont une sorte « d’atelier on the Web » Les ordres de fabrication arrivent sur leur écran, et ensuite ils glissent cet OF sur la ligne de production qui semble la mieux appropriée. En cas d’impossibilité pour cette ligne de produire la série de cartes pour des raisons techniques, un signal est envoyé à l’opérateur. Ensuite, c’est visuellement que l’opérateur peut suivre les productions, que ce soit pour prévoir les réglages des heures à venir ou analyser les retards par rapport au timing prévu.
Au niveau supérieur que ce soit l’atelier, la ligne, un groupe de machines… ou l’heure, l’équipe de travail, la semaine… tous les indicateurs peuvent être obtenus en une seul clic. Même pour un histogramme complexe, il ne faudra pas plus de quelques secondes pour le voir apparaître. Par le biais de profils, chaque acteur dispose dans son périmètre de ses propres inducteurs et de son ergonomie.
« Les premiers gains sont gratuits et immédiats » s’exclame Thierry Gosset, une saine compétition entre les équipes s’établie, de même les phénomènes de baisse d’activité en début et fin d’équipes sont aplanis. Autre avantage, non négligeable, pour des raisons internes, les lignes ont été déménagées et réorganisées, lors du re-branchement tout c’est remis dans l’ordre comme si rien ne s’était passé.
Doucement quand même
Ces deux applications, représentatives des cinq présentées lors de cette journée, mettent en exergue que le chemin est encore long avant que les utilisateurs aient vraiment l’impression d’utiliser un logiciel MES. Souvent ils n’ont fait que piocher les fonctions dont ils avaient besoin, ou du moins celles qui n’étaient pas encore couvertes par leur ERP, leur GPAO, leur supervision ou leur contrôle/commande.
Le MES arrive souvent en fin de cycle pour permettre de gagner les quelques pourcents qui manquent, une fois que les gains en matière de planification ou de production ont été faits.
ne difficulté qui n’a pas échappé à l’organisateur qui tentait de « canaliser » le concept de MES, en insistant sur le vrai rôle d’un système MES qui est l’optimisation de l’outil de production, suivant le schéma Connaître, Analyser et Améliorer.

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